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Les voies silencieuses de la communication

C’est bien connu, l’homme est un bavard invétéré. En effet, la communication entre humains passe essentiellement par le verbe. Un verbe qui exprime la partie consciente de l’activité mentale. Un verbe qui intellectualise la pensée. Mais cela masque qu’une partie non négligeable de la communication relève du non verbal. Par les postures, la gestuelle, l’intonation de la voix, les mimiques du visage, la dilatation des pupilles, la sclérotique, s’exprime toute une panoplie de messages de façon inconsciente.

La recherche expérimentale en neurosciences apporte un large éventail de faits qui tendent à prouver l’existence de cette communication qui reste le plus souvent inconsciente pour nous.

L’éthologue Frans De Wall dans son livre La dernière étreinte relate certaines de ses observations liées au visage. Rappelons que l’éthologie est l’étude comportements au sens large incluant donc les humains.

On fait observer des photos de visages qui expriment des émotions. On filme à son insu le visage de l’observateur. Puis, pour les visages où il a bien reconnu l’émotion, on lui montre la photo de son propre visage à ce moment là. Sur l’image de son visage, il reconnaît l’émotion qu’il avait alors identifiée. La reconnaissance de l’émotion chez l’autre n’a pas été que consciente, elle a aussi été inconsciemment ressentie. Peut-être même d’abord ressentie puis conscientisée pour être verbalisée.

Il faut savoir que nous avons 60 muscles sur notre visage. Des muscles qui s’harmonisent aux muscles du visage de l’autre. Face à un autre humain nous avons une perception holistique de son visage ce qui conduit à identifier instantanément l’état émotionnel de l’autre.

« En 1990, le psychologue suédois Ulf Dimberg a fait l’expérience suivante : il a posé des électrodes sur des visages humains pour enregistrer toutes les contractions musculaires, découvrant que les gens imitent automatiquement les expressions qu’ils voient sur l’écran. Ils n’ont même pas besoin de savoir ce qu’ils voient. Si l’on projette des images subliminales de visages (une fraction de seconde à peine) entre deux images de paysage, ils les imitent aussi. Sans s’en rendre compte – ils pensent voir un magnifique décor naturel, ils se sentent plus ou moins bien suivant l’expression qu’ils ont aperçues : un sourire ou des sourcils froncés. Inconsciemment, nos muscles faciaux reproduisent ces expressions qui, à leur tour, influent sur notre état. Dans la vraie vie, ce mimétisme se traduit par le fait que nous ne pouvons pas nous empêcher d’être émus par les autres.  Les études d’imagerie cérébrale confirment l’idée d’Ulf Dimberg selon laquelle il s’agit d’un processus physique inconscient.  Un exemple : si l’on bloque le mimétisme facial en demandant aux sujets de coincer un crayon entre leurs dents pour empêcher leurs muscles de bouger, leur capacité d’empathie en souffre. »

Ces mécanismes d’identification des états émotionnels de l’autre sont caractéristiques de l’espèce et non d’une culture.

« Paul Ekman organisa une série de tests contrôlés en réunissant un échantillon de sujets issus de vingt pays différents. Il leur montra des images de visages de personnes sous le coup d’émotions variées. Tout le monde donna plus ou moins le même nom à ces expressions, révélant peu de variations dans la façon dont on identifie la peur, la colère, le bonheur et ainsi de suite. Mais un détail chiffonnait Ekman. Et si c’était parce que les gens, où qu’ils soirent, étaient influencés par les films Hollywoodiens et les émissions télévisées grand public ? Cela expliquait-il l’universalité de leurs réactions ? Ekman est allé au bout du monde pour réaliser les mêmes tests dans une tribu pré-alphabétisée de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Non seulement les gens n’y avaient jamais entendu parler de John Wayne ni de Marilyn Monroe, mais ils ne connaissaient ni la télé ni les magazines. Ils ont identifié sans faute la plupart des émotions sur les visages qu’Ekman leur montrait. Les données réunies par Paul Ekman plaidaient en faveur de l’universalité des émotions. »

Boris Cyrulnik dans son livre Mémoire de singe paroles d’homme  évoque aussi ce sujet.

« Ce qui est efficace ce n’est pas la technicité de la psychothérapie, c’est la présence vivante de l’inconscient du psychothérapeute et son aptitude à sentir ce que sent son patient, à vivre à son rythme psychique. »

Ces quatre exemples et bien d’autres montrent qu’il existe des voies silencieuse de la communication entre humains. Mais qu’en est-il avec les animaux ?

Le sujet est délicat car il existe peu de recherches et donc peu de données. Il existe un lourd passif culturel plaçant l’homme hors du champ animal. De ce fait peu de personnes qualifiées se consacrent à l’étude de l’animal doté d’une subjectivité. Ce champ de recherche est considéré comme anecdotique par les décideurs. De plus, de redoutables biais méthodologiques planent sur ces recherches. En situation expérimentale, l’animal n’est pas lui. Il est en dépendance à l’expérimentateur et en soumission aux exigences du protocole. Il est probablement plus soucieux de satisfaire l’humain que d’être profondément lui.

Néanmoins, quelques observations tendent à prouver l’existence de tels canaux de communication non verbale entre humain et animaux. Des exemples montrent que nous avons avec les animaux des connexions au plus profond de nos psychismes respectifs.

Citons en quelques uns.

Il a été observé qu’un maître et son chien qui échangent des regards voient leur taux respectifs d’ocytocine augmenter. L’ocytocine est une hormone produite par l’hypothalamus et qui favorise de l’attachement. Réciproquement, si l’un et l’autre sniffent de l’ocytocine, l’échange de regards est plus fréquent et plus long. Ainsi, un simple échange de regards modifie le psychisme de l’un et de l’autre. Il y a une intersubjectivité.

Tous les mammifères possèdent en leur cerveau des amygdales. Elles font partie du système limbique, centre de nos émotions. La fonction essentielle de l’amygdale est de décoder les stimuli qui pourraient être menaçants pour l’organisme. L’action amygdalienne a un rôle de survie.

L’homme et l’animal ont le même outillage psychique pour faire face à la peur.

Est-il étonnant que pour mettre au point des traitement des phobies chez l’humain, on étudie l’amygdale chez le rat ?

L’article de Gregory Berns paru dans le livre Révolutions animales (p. 97) raconte

« Chez les chiens, nous avons découvert que l’activité du noyau caudé augmente en réponse à des signaux indiquant la nourriture. Bien des choses qui activent le noyau caudé humain et qui sont associées à des émotions positives, activent aussi celui du chien. »

Chez les chiens dressés à rester immobiles pour supporter un scan cérébral on observe une activité du noyau caudé, quand ils s’attendent à recevoir un hot-dog. C’est une activité comparables à celle qu’on observe chez des hommes d’affaires à qui l’on promet une prime.

Dans le même livre (p.158) François-Bernard Mâche raconte

« Il existe des rythmes et des sons universels. L’accélération d’un son parallèlement à son intensité croissante est un comportement ancré dans la physiologie de beaucoup d’espèces vivantes. Le rebondissement accéléré puis ralenti de notes percutées souvent doublé d’un effet de crescendo-decrescendo ainsi qu’une montée et descente des hauteurs est un motif très répandu que ce soit chez le grand-duc tacheté, la tourterelle pleureuse, le rythme Kartarai du tambour kakko dans le Gagaku japonais ou certains chants gibbons… Les édifices de l’imaginaire musical semblent bâtis sur des fondation simples et robustes fournies par des réseaux neuronaux pré câblés dont une part est sans doute commune à tous les vertébrés. »

Toujours dans le même livre (p.167), Yves Christen relate

« Une étude de Victoria Ratcliffe et David Reby publiée en 2014 nous en apprend beaucoup. Ces chercheurs de l’université du Sussex en Grande Bretagne ont testé pas moins de 250 chiens. Ils ont ainsi pu montrer qu’une phrase prononcée en accentuant les segmentations des phonèmes conduit le chien à tourner la tête vers la droite, ce qui suggère qu’il utilise préférentiellement son hémisphère gauche, les voix nerveuses étant croisées, exactement comme nous le faisons. Par contre, lorsque la déformation de la voix conduit à renforcer l’intonation émotionnelle, il tourne la tête dans l’autre sens, ce qui suggère qu’il recourt à son hémisphère droit, plus concerné par cette fonction. Il existe donc bien, dans le cerveau du chien, une organisation cérébrale voisine de la nôtre qui lui permet d’interpréter les signaux linguistiques que nous lui adressons selon des modalités identiques à celles que nous utilisons nous même. »

Tout le monde a vu ces vidéos qui montrent un lion traversant un troupeau de gazelles sans que celles-ci soient inquiétées. Elles savent identifier dans la gestuelle et le regard du lion l’absence d’intention prédatrice.

J’ai eu en même temps un jeune chien et un vieux coq en liberté dans le jardin. Ce jeune chien avait ses moments de folie. Il courait en tous sens frôlant le coq et lui sautant par dessus. Le coq, décryptant parfaitement la mentalité du chien, est toujours resté imperturbable. Et, lorsque le chien épuisé s’allongeait le coq venait se coucher entre les pattes du chien. Ils dormaient ensemble.

Il semble bien exister des voies silencieuses de communication entre les animaux et entre l’homme et l’animal. Cela ne doit pas nous étonner.

En terme d’évolution, l’être humain n’est qu’une brindille dans le buisson des mammifères. La structure de son cerveau s’inscrit dans cet arbre de l’évolution. Chez tous les mammifères la structure cérébrale comporte de nombreuses zones semblables. Les aires sensorielles, les aires associatives, les aires limbiques (siège des émotions), mais aussi toute la gamme des neurotransmetteurs. Seuls les volumes des cortex pariétal, temporal et surtout du préfrontal nous distinguent des autres mammifères. Ces aires qui, justement, nous distancient de nos émotions. Nous partageons donc un outil de rapport à l’autre et au monde qui a beaucoup de choses en commun. Il n’est donc pas étonnant que de façon inconsciente s’établissent des appariements psychiques et donc une harmonie qui constitue une forme de communication. Cela se passe à un niveau infra verbal.

Nous pouvons donc poser l’hypothèse que notre attirance pour les mammifères tient à ce que nous partageons avec eux beaucoup de fonctions psychiques inconscientes.

En particulier la préoccupation obsessionnelle de tout être vivant pour sa survie. Se protéger du danger quel qu’il soit, suppose une vigilance de chaque instant et un stress permanent. Mais le stress lui aussi est dangereux. Il est toxique. Le cortisol, l’hormone du stress, détruit les cellules du système limbique. Le système immunitaire est abîmé. Les facultés cognitives indispensables à cet autre nécessité de la survie : explorer le monde pour se nourrir, sont altérées. Pour compenser le stress, l’être vivant a un besoin vital de lieux et moments à l’abri de tout danger : un terrier, un nid, une niche, une relation sociale apaisante.

Et c’est bien cela qui se joue en médiation animale. Par des voies silencieuses de la communication s’instaure un climat paisible et de confiance réciproque entre l’homme et l’animal. C’est un enjeu essentiel s’agissant de personnes rendues vulnérables par un handicap physique ou mental. Et les observations faites au jour le jour lors des activité à la Ronzière attestent de cet effet positif sur le comportement des bénéficiaires de la médiation animale.

Dans ce bref instant de la rencontre se produit un phénomène psychique qui se voit sur le visage de l’intéressé. Un processus qui reste pour lui inconscient. Mais l’humain ressent un bien être, dû probablement à une décharge d’ocytocine, hormone de l’attachement, qui explique l’attrait pour l’animal. Ocytocine qui, en même temps, fait reculer le cortisol et donc réduit l’anxiété. L’effet est parfois spectaculaire.

La médiation suppose donc un animal choisi pour son côté paisible et bienveillant, un animal entraîné à côtoyer les humains, un animal bien traité avec une attention particulière au comportement de l’animal en cours de séance. Car un animal fatigué devient stressé ce qui entre en résonance avec l’anxiété de l’humain, ce qui est contraire au but recherché.

Un animal qui crée autour de lui une « bulle sécure » au sein de laquelle l’humain trouve calme et apaisement. Il trouve ainsi une sécurité affective propice à une autorégulation émotionnelle et donc restaure une aisance sociale, une confiance en soi et en l’autre. Et par voie de conséquence redynamise des capacités cognitives qui favorisent les activités exploratoires et donc son insertion dans le monde extérieur.

Voilà probablement une hypothèse sur ce qui constitue un des ressorts profonds de la médiation animale. Un autre ressort tient au côté contingent de l’animal qui oblige l’humain à focaliser son attention et ainsi à le distraire de son anxiété. (Voir à ce sujet l’article que j’ai rédigé intitulé « Anticipation surprise ».)

Charles Lostis, septembre 2019.