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L’accueil des groupes

Nous sommes quatre, assis autour de la table de la cuisine entrain de boire un café.

Subitement un jeune apparaît sous l’arcade de la cour pavée.

« Ils arrivent.» Nous sortons tous et le groupe se présente au complet.

Pendant deux à trois minutes tout le monde se congratule. La bise pour certaines. La poignée de mains pour d’autres. Six jeunes et deux accompagnateurs, cela fait 32 salutations.

Puis des petits groupes de trois ou quatre se forment. Des groupes qui se font et se défont sans cesse. Un membre sort d’un groupe pour en rejoindre un autre et réciproquement. Un peu comme les abeilles lorsqu’elles discutent avant de prendre une décision.

«  Comment ça va ? » «  Qu’as-tu fais cette semaine ? » «  J’ai pensé à toi cette semaine » « Qu’as-tu envie de faire aujourd’hui ? »  On échange ainsi pendant quelques minutes.

Certains jeunes apportent des dessins en cadeau pour Isabelle. D’autres viennent avec des déchets de cuisine pour nourrir les poules.

Parfois des jeunes sortent pour aller saluer des animaux au paddock. Un adulte se détache et les accompagne.

C’est un moment décisif pour la suite de la séance. C’est le moment où chacun réactive les représentations mentales qu’il a des lieux, des personnes et où se réveille les souvenirs des séances précédentes. On s’harmonise. Comme un orchestre qui s’accorde avant de jouer.

Après cet épisode, Isabelle reprend la main.

Par sa voix, son ton enjoué, son attitude, sa gestuelle, ses mimiques, son regard qui passe sans cesse de l’un à l’autre comme si elle parlait à chacun personnellement, elle diffuse de l’élan, insuffle du dynamisme.

On doit ici citer Jérôme Bruner psychologue américain qui détaille « l’interaction de tutelle » dans son livre « Savoir faire, savoir dire » au PUF. Notamment l’enrôlement : « La première tâche évidente du tuteur est d’engager l’intérêt et l’adhésion du « chercheur » envers les exigences de la tâche. »

Isabelle l’a bien compris qui ménage spécifiquement un temps pour ce faire. Elle organise l’engagement dans la séance. Rendre service à l’animal motive. Donner à manger. Le nettoyer. Rendre son habitat propre. Promener l’animal. Tout cela est abordé naturellement. S’occuper de l’animal. Agir pour l’animal et pas uniquement avec. Développer le sentiment de responsabilité. L’animal n’est pas que caresses et câlins. D’ailleurs souvent plus pour soi que pour l’animal lui même.

Il ne faut pas croire que cet engagement se fait automatiquement. Le médiateur doit prendre le temps et soigner son attitude pour préparer les jeunes et c’est déjà tout un art. C’est une stratégie.

Mais son style va bien plus loin.

L’éthologue Frans De Wall éclaire notre propos. Dans son livre « La dernière étreinte. Le monde fabuleux des émotions animales… et ce qu’il révèle de nous » il relate une intéressante expérience de transmission des émotions entre humains. Un orateur prend la parole devant un public. A l’issue de la conférence on fait cracher tout le monde et on mesure le niveau de corticostérone qui indique le niveau d’anxiété de chacun. On s’aperçoit que les niveaux d’hormone du conférencier et du public convergent. Les auditeurs sont détendus si le conférencier est sûr de lui, mais mal à l’aise s’il est nerveux.

C’est cela que fait Isabelle en parlant aux jeunes. Elle réduit le degré d’anxiété des jeunes en leur transmettant son enthousiasme pour mieux les engager dans les activités. Elle peut alors avancer ses propositions.

Il ne s’agit pas d’obtenir une participation par obéissance et soumission mais par un choix venant de l’intérieur du sujet. Par un « Je » qui décide. Un « Je » qui bascule sa pensée vers un but, vers un objet du monde extérieur, vers un service rendu à l’autre (que ce soit à isabelle ou à un animal). Un « Je » qui fait reculer le vertige du vagabondage mental. Un « Je » qui fait reculer les déréalisations et autres fantasmes. Focaliser sa perception sur un objet réel apaise et libère des compétences. Et cela se voit au moment du départ où les jeunes rechignent à partir.

Il peut toutefois exister des réfractaires dont les troubles sont trop envahissants pour céder à la stimulation d’Isabelle. N’oublions pas que la médiation animale ne guérit pas et qu’elle a donc des limites.

Voilà ce qui se joue au cours de ce bref moment de l’accueil.

Charles lostis mars 2019