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Anticipation et surprise

Un lièvre qui détale. Un oiseau qui s’envole. Un renard qui traverse le chemin. Une harde de sangliers qui s’enfuit. Lorsque nous nous promenons dans la campagne, un animal en mouvement nous surprend et déclenche immédiatement une focalisation de notre attention. D’ailleurs, un animal réagit de même dans un premier temps et s’immobilise dès qu’il perçoit un danger afin d’échapper à la perception de l’autre.

Nous fréquentons les parcs animaliers pour voir et observer des animaux que nous avons déjà vu évoluer à la télévision ou en vrai. Si l’animal se comporte comme nous le pensons cela nous conforte dans notre représentation et nous procure une satisfaction. Mais, si son comportement nous paraît étrange, cela nous intrigue et donc crée une surprise. Par contre, nous passons rapidement devant ceux qui dorment ou se cachent.

Essayons de comprendre le processus mental sous-jacent. Il ne s’agit ici que d’hypothèses qui resteraient à prouver par une méthode scientifique que nous n’avons ni les moyens financiers ni les compétences de mettre en œuvre.

La fascination qu’exerce l’animal sur l’homme tient au caractère contingent de la relation à l’animal. Une relation empreinte d’imprévus au sein d’un éventail de possibles connus et prévisibles. Au cours de l’interaction, ce sont le moment et l’intensité de l’évènement qui surprennent. Ce qui oblige à focaliser sa perception sur un objet extérieur au détriment de sa rumination intérieure. Ce qui procure un apaisement mental.

Mais allons plus loin.

Une méta-analyse dirigée par L’Université de Sherbrooke au Québec dégage des caractéristiques de l’attirance du jeune enfant pour l’animal.  Selon cette analyse le toucher et le son interviennent mais ne seraient pas des facteurs primordiaux. « C’est le mouvement qui expliquerait la préférence des enfants pour l’animal vivant.»« Plus encore que le mouvement, ce serait la réciprocité et la synchronie dans les interactions. »

En effet, l’animal n’est ni désorganisé, donc totalement imprévisible et inquiétant, ni stéréotypé donc trop prévisible et ennuyeux comme le serait un robot. Certes, une multitude de facteurs interviennent dans la relation homme animal, mais il semblerait que le couple « anticipation surprise » soit le facteur primordial de la fascination que l’animal exerce sur l’homme.

Ce mécanisme « anticipation-surprise », que nous avons tout au long de notre vie, est profondément inscrit dans le cerveau dès avant la naissance. Il est une des « primitives » qui a été génétiquement programmée par l’évolution pour assurer la survie. Il n’est pas le fait uniquement de l’humain, il est inscrit chez tous les êtres vivants, notamment chez les mammifères que nous sommes amenés à côtoyer.

Il y a quelques années, lors d’un colloque d’ethnopsychiatrie consacré au jeu organisé par Marie Rose Moro, un pédopsychiatre de l’Institut Rockefeller de New York a fait le récit d’une expérience.

On fait entendre à un bébé de quelques semaines un son régulièrement toutes les quatre secondes. Au début, par l’examen du regard, on observe que le bébé est concentré sur ce bruit nouveau qui apparaît dans son environnement. Puis il s’habitue. Il semble ignorer le bruit qui lui est devenu familier et prévisible. Son attention peut alors se porter sur autre chose. Subitement, le bruit ne vient pas à la quatrième seconde. L’attention de l’enfant est immédiatement réactivée avec un dose d’angoisse observable dans le regard et le visage. Le bruit apparaît enfin à la cinquième seconde. Rebond à son angoisse et confirmation de sa représentation interne, l’enfant éclate de rire. Par contre si le bruit apparaît prématurément, à la troisième seconde, par exemple, la représentation interne, agressée par la perception, provoque une intense contrariété. L’enfant se met à pleurer. Nous avons là une « primitive » temporelle.

Signalons au passage que c’est ce même mécanisme qui est utilisé pour tester les personnes dans un coma végétatif. Pour voir si le cerveau réagit au changement de rythme et donc continue à avoir un traitement cognitif de son environnement.

Il en est de même avec le mécanisme de l’humour. Un récit en cours nous fait envisager une hypothèse quant à son issue. Mais derrière cette hypothèse, présente à la conscience, il existe une multitudes d’autres hypothèses prêtent à surgir. Ces hypothèses d’arrière-plan ne sont pas assez forte pour accéder à la conscience. La conscience qui ne peut traiter qu’une seule idée à la fois. L’humour intervient si, au dernier moment, l’issue n’est pas celle prévue mais une des hypothèse en arrière-plan. Cette hypothèse prend subitement le dessus et accède brutalement à la conscience. Cette montée brutale en puissance d’un réseau neuronal provoque une décharge de dopamine qui génère jubilation et euphorie.

Une urne est munie d’une paroi vitrée. On voit qu’il y a trois boules dans l’urne. On voile la vitre et, devant l’enfant, on dépose une boule dans l’urne. Puis on dévoile la vitre. S’il y a quatre boules, l’enfant regarde sans s’attarder. Il a anticipé que l’ajout d’une boule fait passer de trois à quatre et cela correspond à ce qu’il voit. Par contre, s’il y a toujours trois boules (prestidigitation ?) il regarde avec insistance car cela ne correspond pas à ce qu’il a anticipé. Il y a une « primitive » de quantité.

Une bille rouge se déplace en suivant la trajectoire en pointillé. Lorsque la bille disparaît derrière l’écran bleu le regard de l’enfant se porte immédiatement en A. Il a mentalement anticipé la trajectoire. La bille ressort en A, il regarde sans s’attarder. Mais si la bille ressort en B, son regard persiste car il essaie de comprendre l’écart qu’il y a entre ce qu’il a prévu et la réalité. Il doit se remettre apprentissage. Tout bébé l’enfant fonctionne ainsi. Il y a une « primitive » de l’espace.

Comme le souligne Jérôme Bruner : « le jeune enfant est sensible à l’action humaine et ses effets, à l’interaction humaine. Il a une capacité précoce à marquer ce qui est inusuel et à laisser sans marque ce qui est usuel. Il linéarise l’action en une succession ordonnée de séquences. Il met en perspective, fait part de ses sentiments, construit du sens, émet des hypothèses sur le but le l’action, ses causes. »

Très tôt le bébé compare la perception qu’il a du monde extérieur à la représentation qu’il en a à un niveau inconscient. Le moindre écart déclenche une alerte qui réactive l’attention et se comporte comme un stimulant mental.

Très tôt l’enfant découvre qu’il y a des objets caractérisés par une forme stable et leur immobilité, et par la présence de la mère et des personnes qui s’occupent de lui qu’il y a des « objets » qui changent de forme et se déplacent par eux même, des êtres vivants.

Plus tard il découvre que le monde du vivant n’est pas fait que d’humains. qu’il y a aussi des chats, des chiens, des cochons d’Inde, des serins, c’est-à-dire des animaux qui répondent aux mêmes critères que les humains.

Des animaux qui réagissent de façon concomitante à ses sollicitations. Des animaux qui prennent des initiatives, proposent des actions et qui sont mûs par des intentions. Des animaux avec lesquels on peut avoir des interactions. L’enfant voit les effets de ses actions et peut donc jouer, apprenant ainsi à construire une relation sociale.

Mais l’animal se distingue de l’humain en ce que la communication est non verbale. Hors verbalisation et donc hors généralisation, l’animal n’émet pas de jugement. Il n’est pas dévalorisant et humiliant. Il autorise ainsi le déploiement des compétences cognitives.

Dans le même ordre d’idées, l’animal accepte l’enfant tel qu’il est et non comme il a été ou comme il deviendra.

L’animal sait marquer les limites de sa tolérance sans que cela déclenche une menace affective comme il peut parfois le ressentir face la réprimande de ses parents.

La relation avec l’animal permet donc à l’enfant d’expérimenter les processus de socialisation.

C’est pourquoi la phrase : «Plus encore que le mouvement, ce serait la réciprocité et la synchronie dans les interactions. » est importante car elle résume bien, par le couple « anticipation-surprise », un des ressorts de la médiation animale.

« L’anticipation-surprise » est un mécanisme de base de l’apprentissage que nous utilisons tout le long de notre vie. Que la relation avec l’animal stimule ce mécanisme au moment de l’enfance aura des répercutions sur sa trajectoire de vie d’être humain.

Charles Lostis mars 2019